Migr’Action : interview de Sarahi Gutierrez et Manon Droniou de l’association BATIK International

Face aux discours de haine grandissant en Tunisie et en France et fortes de leurs collaborations et actions en faveur de l’intégration et l’insertion des personnes migrantes, BATIK International et la Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives (FTCR) se sont réunies pour conduire une initiative en faveur de l’accueil des migrant·e·s dans les deux pays. Rencontre avec Sarahi Gutierrez et Manon Droniou, de l’association BATIK International qui nous présentent cette initiative soutenue par le CFSI dans le cadre du Programme Coopérer Autrement en Acteurs de Changement.

 

Pourriez-vous nous présenter votre initiative ?

Manon : Les personnes réfugiées ont souvent été placées en zone rurale, par exemple dans des centres d’hébergement. Elles disposent de peu de moyens pour assurer leur insertion locale.  Paradoxalement, ces zones rurales possèdent également de nombreux métiers en tension, notamment dans le secteur agricole. Ainsi, relève-t-on que l’agriculture est délaissée dans certains territoires.

En 2021, notre diagnostic a révélé que les acteurs de l’insertion des personnes réfugiées et ceux du secteur agricole se connaissaient peu. Les associations, qui se concentrent souvent sur l’accès au droit commun, manquent d’effectifs ou sont débordées de dossiers, ce qui complique la prise en charge globale des réfugiés. Elles peinent à lever tous les freins à l’insertion.

En France, comme en Tunisie, on constate une montée du discours de haine envers les personnes migrantes. Cela se traduit, par exemple en Normandie ou en Bretagne, par des manifestations anti-accueil et même des violences à l’encontre des élus locaux.

En Tunisie, qui a toujours été un pays de transit, on observe depuis deux ans une montée du discours nationaliste. Ce discours s’accompagne d’une réappropriation de la théorie du « grand remplacement » et d’une augmentation des propos haineux envers les personnes migrantes, notamment subsahariennes. Cette situation a engendré de nombreuses violences à travers le pays. Des personnes migrantes ont été exclues aux frontières, abandonnées en plein désert, et des violences ont éclaté dans les villes, ciblant même les associations qui les accompagnent.

Ces constats soulignent l’urgence de promouvoir le vivre-ensemble, en particulier en France, où il est crucial de faciliter et d’encourager l’insertion des migrants. Cela nécessite une coordination avec l’ensemble des acteurs déjà mobilisés dans les zones rurales. On remarque que des noyaux de solidarité existent et sont très importants, notamment parmi ceux qui se revendiquent paysans et paysannes.

C’est dans ce contexte qu’avec la Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives (FTCR), nous nous réunissons autour de l’objectif de favoriser le vivre-ensemble et l’insertion des migrants.

 

Comment le projet a-t-il été co-construit ?

Sarahi  :  Avec la FTCR, nous collaborions et organisions déjà des permanences d’accès au droit, ainsi que des sessions d’information pour les migrants sur l’accès au droit, incluant des ateliers spécifiques sur les droits des femmes. Ces activités étaient animées dans les locaux de la FTCR, qui est une organisation de la diaspora tunisienne offrant également des permanences et des ateliers.

En constatant la montée du discours de haine en France et en Tunisie, nous avons voulu unir nos forces pour sensibiliser les personnes sur les parcours migratoires.

 

Pourquoi travailler en pluri-acteurs de territoire à territoire ?

Manon : En Normandie, il existe déjà un écosystème riche et bien établi, composé de divers acteurs aux savoir-faire complémentaires. Il nous semble crucial de contribuer à la vitalité de cet écosystème en facilitant l’interconnaissance entre ces acteurs. L’objectif n’est pas de s’ajouter à une structure déjà complexe, mais plutôt de renforcer et dynamiser la collaboration entre les différents intervenants.

Travailler en pluri-acteurs permet de tirer parti des compétences et des ressources variées de chacun, tout en évitant la duplication des efforts. En encourageant une approche coordonnée et intégrée, nous pouvons mieux répondre aux défis liés à l’insertion des personnes réfugiées, en optimisant les ressources et en créant des synergies bénéfiques pour tous les acteurs impliqués.

Cette démarche territoriale permet également de s’appuyer sur les particularités locales et de développer des solutions adaptées aux besoins spécifiques de chaque région. En favorisant les échanges et la coopération entre les territoires, nous pouvons renforcer la cohésion sociale et promouvoir un modèle d’intégration plus harmonieux et efficace.

Sarahi : En effet, il s’agit de connecter les spécialistes de l’action sociale, de l’agriculture et de l’insertion, sans dénaturer leurs expertises spécifiques. L’objectif est de proposer un accompagnement ou un parcours d’insertion aussi complet que possible, sans rupture pour les personnes migrantes. Cette même logique s’applique également en Tunisie où de nombreuses associations sont mobilisées. Malgré la montée d’un discours de haine dans l’opinion publique, ces associations restent engagées pour accueillir les migrants et des citoyens et citoyennes soutiennent ces initiatives.

En Tunisie, en soutenant et en complétant les initiatives locales, nous pouvons également renforcer les efforts pour l’accueil et l’insertion des migrants. Nous souhaitons donc soutenir ces associations.

 

Qu’est-il attendu du travail avec la FTCR ? 

Manon : Travailler avec la FTCR permettra de partager des méthodes et des outils, de mutualiser les réalités et de sensibiliser davantage.

Sarahi : Travailler avec la FTCR permettra également d’impliquer leurs bénévoles présents sur les zones d’interventions afin qu’elles contribuent à faire vivre notre projet.

 

Quelles sont les attentes de la part des populations concernées ?

Sarahi : Notre attente principale est de lutter contre les stéréotypes et les idées reçues en apportant une information précise et en démystifiant les discours de haine. Il y a beaucoup de désinformation et de fausses informations dans certains territoires, c’est pourquoi notre mission est d’apporter des clarifications. Nous visons à soutenir tous les acteurs impliqués dans les parcours migratoires de ces populations, même s’ils ne communiquent pas toujours entre eux en raison de contraintes de temps et de charge de travail élevée. Par exemple, nous apportons un soutien aux conseillers en insertion dans les centres d’hébergement pour renforcer leurs capacités d’accompagnement.

En Tunisie, notre action se concentre sur les associations qui accompagnent les migrants. Elles ont besoin d’aide pour contrer le discours de haine, fournir des informations fiables et guider les migrants à travers les dispositifs d’aide disponibles. Notre objectif est d’autonomiser les personnes en situation de migration en leur fournissant les connaissances nécessaires pour prendre des décisions éclairées sur la poursuite de leur parcours migratoire, en toute connaissance des risques et des soutiens possibles.

 

Quelles sont les actions mises en œuvre et les besoins ?

Manon : Nous avons mis en place plusieurs actions pour répondre à l’urgence de favoriser le vivre ensemble, que ce soit en France ou en Tunisie. Des ateliers de sensibilisation au parcours migratoire et à l’interculturalité sont organisés à destination du grand public. Pour soutenir l’écosystème local d’acteurs, nous organisons des séjours de découvertes métiers chez des agriculteurs, agricultrices, artisans et artisanes. Des visites pédagogiques sont également prévues pour découvrir des associations, des chantiers ou des fermes.

Nous mettons en place un suivi individualisé des personnes, avec des diagnostics menés en Drôme-Ardèche et Côtes d’Armor, dans le but d’évaluer la pertinence d’élargir ces actions à d’autres territoires et de comprendre les réalités spécifiques de ces zones.

Nous envisageons également la création d’une mallette d’outils partagée entre la FTCR et BATIK, dans le cadre de notre axe de sensibilisation du grand public.

 

Depuis 2015, qu’est-ce qui a changé dans votre façon de concevoir les relations partenariales et d’interagir sur la thématique des migrations ?

Sarahi : La réciprocité est un principe que nous appliquons depuis longtemps dans nos relations partenariales. Par exemple, les frais de fonctionnement de nos projets sont partagés à parts égales avec nos partenaires et nous favorisons une prise de décision concertée et consensuelle dans le cadre des comités de pilotage. Nous agissons ou en cogestion. De plus, ce sont nos partenaires qui organisent leurs propres activités et nous n’imposons pas nos choix.

Manon : Une des contributions majeures du Programme Coopérer Autrement en Acteur de Changement porté et développé par le CFSI  a été le cofinancement d’une initiative soutenue dans le cadre d’un fond d’appui à l’Animation Décentralisée qui a permis d’établir les diagnostics. Cette approche est particulièrement précieuse car elle finance des initiatives difficiles à soutenir autrement. Grâce à cette démarche, nous avons pu identifier un écosystème d’acteurs qui interagissent peu entre eux mais qui sont essentiels dans le domaine des migrations.

 

Quelles sont les perspectives d’avenir pour ce projet ?

Sarahi : En terme de perspectives, la consolidation du parcours socioprofessionnel des migrants placés dans des centres d’hébergement en zones rurales est importante. Nous observons que beaucoup parviennent à obtenir leur statut ou à renforcer leurs compétences linguistiques, avant de retourner vers les grandes villes où ils se sentent souvent plus à l’aise. Notre objectif est de favoriser un véritable vivre ensemble en soutenant cette mobilité choisie.

 

Merci à Sarahi Gutierrez et Manon Droniou pour cette interview.

Cette initiative fait partie du programme Coopérer autrement en acteurs de changement soutenu par l’Agence française de développement, la Fondation de France et les donateurs du CFSI. Pour renforcer et élargir nos actions, faites un don.

Crédit photo : © BATIK International 

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