CAAC : au Nord comme au Sud, les droits des travailleurs précaires en question
Quels liens faire entre l’action syndicale en direction de travailleurs-euses de l’économie informelle tels que des transformatrices de poisson au Sénégal d’une part et en direction de chauffeurs VTC et livreurs à vélo en France d’autre part ?
C’est la question que s’est posée l’Institut Belleville, l’opérateur des projets de coopération syndicale internationale de la CFDT, membre du CFSI.
« Au premier abord, dans des contextes aussi différents, les connexions n’étaient pas évidentes » témoigne Elodie Aïssi, déléguée générale de l’Institut Belleville. « La participation au programme Coopérer autrement en acteurs de changement a été le déclencheur d’une réflexion plus poussée sur les problématiques communes à certains travailleurs-euses de l’économie informelle au Sénégal et certains travailleurs-euses de plateformes en France, ainsi que sur les approches syndicales utilisées pour répondre à ces problématiques. Des enjeux liés à l’accès à la protection sociale, par exemple, étaient identifiés dès le départ.
Nous avons fait appel à différents secteurs de notre organisation, en nous adressant à des services confédéraux, fédérations et unions régionales en contact avec les chauffeurs-livreurs, afin de vérifier la pertinence de travailler sur un regard croisé entre les deux réalités. Au 1er semestre 2021, de concert avec l’Union nationale des syndicats autonomes du Sénégal (UNSAS), notre partenaire au Sénégal, nous avons lancé avec deux laboratoires de Recherche des travaux visant à mieux comprendre les actions syndicales menées ou à développer en direction des travailleuses et travailleurs concernés. Alors que certains points communs étaient pressentis, d’autres sont apparus au cours des travaux », ajoute-t-elle.
Nombre de travailleurs-euses évoluant dans les secteurs d’activité étudiés ont des conditions de travail et de vie marquées par la précarité et la vulnérabilité. En France, les travailleurs suivis dans le cadre de l’étude sont majoritairement des travailleurs migrants primo-arrivants ou des descendants de l’immigration, avec un niveau de qualification relativement faible. Au Sénégal, les femmes rencontrées ont généralement un niveau d’études très bas.
Un des besoins identifiés est celui de la formation, dans de multiples domaines : de l’alphabétisation à la connaissance des principaux droits, en passant par la formation professionnelle.
Un autre besoin exprimé a été la volonté de s’organiser en collectifs, et notamment au sein de coopératives. Ce mode d’organisation peut notamment faciliter la réalisation d’achats et l’écoulement des produits à travers des filières : « Les transformatrices de poisson participant au projet ont des ressources financières limitées et pouvoir grouper les achats (stocks de poissons, matériels pour la transformation des produits…) est une démarche intéressante » précise-t-elle. « Dans le même temps, nous observons que de tels regroupements peuvent aussi intéresser les chauffeurs de VTC par exemple, qui ont également besoin d’accéder à certains biens et services, et peuvent le faire plus facilement à plusieurs. »
Par ailleurs, une réalité qui vient bousculer les pratiques syndicales traditionnelles est la difficulté à influer sur des espaces de décision situés loin des lieux où les travailleuses et travailleurs concernés exercent leurs activités. « Par exemple, comment organiser la mobilisation sociale quand on est tributaire d’algorithmes et de décisions prises à des milliers de kilomètres ? De même, les activités des transformatrices de poisson au Sénégal peuvent être bouleversées du fait des conséquences de mesures inscrites dans des accords internationaux sur lesquels elles n’ont pas de prise »
En mai 2022, les résultats de ces études ont fait l’objet d’une restitution auprès de partenaires syndicaux et au sein des services de la CFDT où des réflexions sont actuellement menées sur les suites de ce projet en direction des chauffeurs et livreurs en France. Au Sénégal, un suivi des activités est en cours.
« Il nous semble intéressant d’élargir ce projet et la dimension pluridisciplinaire qu’il comporte à d’autres territoires et pays, dans l’optique notamment de favoriser des partages d’expériences. Mais le temps nécessaire pour mettre en œuvre ce type de projet ainsi que les coûts y afférents sont loin d’être négligeables » concède Elodie Aïssi. « Nous devons donc avoir la possibilité de travailler sur un temps long et bénéficier de financements qui permettent de mettre en place des activités répondant aux multiples besoins des travailleuses et travailleurs avec lesquels nous interagissons ».
Le programme Coopérer autrement en acteurs de changement bénéficie du soutien financier de l’Agence Française de Développement et des donateurs du CFSI. Il termine sa phase 2 et recherche activement des fonds pour débuter une phase 3 à l’horizon 2023. Pour cela, nous avons besoin de votre soutien, faites un don.