Au Togo, manger bio et local, un premier pas vers de bonnes habitudes alimentaires
Tata Ametoenyenou, directeur de l’Oadel au Togo, partage une longue histoire avec le CFSI. Depuis 2009, il participe activement au festival ALIMENTERRE et les actions de son association sont régulièrement soutenues par le programme Promotion de l’agriculture familiale en Afrique de l’Ouest. Voici la deuxième partie d’une interview réalisée en avril 2024. Pour voir la première partie, cliquez ici.
Dans ce deuxième épisode, nous abordons le contexte local et les difficultés spécifiques rencontrées par les togolais pour bien se nourrir.
Quelles sont les difficultés spécifiques et les enjeux locaux auxquels vous faites face quotidiennement ?
En tant que producteur et distributeur local, nous sommes menacés aujourd’hui parce que les marchés sont ouverts et que le Togo est inclus dans la zone de libre-échange continentale africaine. Face à l’importation de produits qui viennent de différents pays d’Afrique, il nous sera impossible de s’en sortir si nous n’arrivons pas à proposer des produits locaux différenciants et de qualité sur le marché.
Notre gouvernement est conscient des difficultés mais il y a peu de résultats concrets.
Comment se présentent les impacts des habitudes alimentaires, comme la malbouffe au Togo ?
Il y a unanimité sur l’apparition en quelques générations de maladies qui n’existaient pas traditionnellement chez nous, comme par exemple le cancer. Il n’y a même pas de traduction locale pour le mentionner !
Tout le monde est conscient que c’est l’alimentation qui les provoque. Tout le monde sait que c’est une question de santé publique aujourd’hui. L’Etat établit un certain nombre de programmes, mais cela reste plus d’ordre curatif que préventif.
Par exemple, il faudrait mettre à contribution l’école, pour que dès le bas-âge, on arrive à sensibiliser les enfants, notamment contre les excès de sucre dans l’alimentation. Nous sommes tous conscients que dans les produits qui viennent d’un peu partout, il n’y a pas tous les soins qu’il faudrait apporter. En effet, généralement ce sont des femmes qui préparent à la maison et qui viennent vendre la nourriture directement dans les cours d’école ou à la sortie.
Dans les écoles publiques, on va nous dire qu’il n’y a pas assez de moyens pour embaucher des intervenants et proposer des séances d’animation ou encore, qu’il n’y a pas assez de temps pour inclure une thématique alimentation dans le programme scolaire.
Les écoles privées sont les seules ouvertes à cette discussion et à travailler avec nous. La direction de la nutrition au Togo souhaite également réglementer les produits alimentaires vendus dans les écoles, pour contrôler la consommation de sucre. Mais pour le moment ça n’a pas abouti, ça reste donc un réel problème.
A l’Oadel, dont la mission est de promouvoir le consommer local, nous avons toujours fait le lien entre alimentation et santé. Effectivement, les consommateurs commencent à prendre conscience des risques liés à ces maladies dites non transmissibles. Mais encore une fois, avoir accès à l’information et prendre conscience des impacts négatifs est une chose. Passer à l’acte pour changer véritablement d’alimentation en est une autre !
Encore faut-il avoir les moyens pour acheter des produits de bonne qualité. Et même, les gens qui en ont les moyens ne trouvent pas ces produits. Le travail n’incombe pas qu’à un seul acteur : il faut qu’il y ait plusieurs acteurs qui conjuguent les efforts en créant des synergies, en mettant à contribution aussi les médias, pour véhiculer suffisamment l’information.
Que pensent les togolais du bio ?
Le terme bio est à la mode et son utilisation est devenue galvaudée, par manque de réglementation. Il y a des transformateurs agroalimentaires qui utilisent la mention Bio sans aucun contrôle sur l’itinéraire de production.
Les consommateurs pensent que tant qu’il n’y a pas de pesticides chimiques, c’est bio. A l’Oadel, on leur explique que ce n’est pas que ça : même la qualité du sol doit être prise en compte.
Malheureusement, l’agriculture biologique dans notre pays est limitée à un certain nombre de produits qui sont plutôt destinés à l’exportation européenne, comme l’ananas par exemple, ou le soja.
En effet, le système d’analyse et de certification est tellement cher que si on répercute le prix sur les produits, le pouvoir d’achat des togolais ne permet pas d’acheter ce bio-là. Et très souvent, les organisations paysannes ou les producteurs qui font du bio le font sur commande.
Ainsi, ce sont les structures commanditaires en Europe qui supportent tous les coûts d’analyse. Sinon, les organisations elles-mêmes n’ont pas les moyens de payer la certification. Souvent, c’est Ecocert qui se charge de cela.
Maintenant, il y aussi des producteurs individuels qui font l’effort de faire du bio même si ce n’est pas certifié. Ils n’utilisent pas d’engrais ou de pesticides chimiques. Ils sont autorisés à utiliser le terme “naturel” au lieu de “bio”, car il n’y a pas eu de contrôle ou de certification. Le problème qu’ils rencontrent souvent c’est que sur le marché, les consommateurs ne font pas la différence entre ces produits naturels et les produits conventionnels. Et même si on leur dit que les conditions de production de ceux-ci sont sans pesticides, sans engrais chimiques, ils vont choisir en fonction du prix, donc toujours le moins cher, à cause du pouvoir d’achat.
En réalité, le problème dans notre pays, c’est le pouvoir d’achat du consommateur.
Comment avez-vous vécu la période de la crise covid-19 au Togo ? Est-ce que cela a eu des répercussions sur les choix de consommation de la population ou vos capacités de distribution ?
En France, cette crise a suscité un regain d’intérêt pour la consommation locale et le monde rural sur un court terme, mais à partir de 2022, avec l’inflation et la réouverture des restaurants, le secteur des magasins bio a connu une grande crise et beaucoup de boutiques ont fermé. Qu’en est-il au Togo ?
Les pays africains n’ont pas géré la Covid de la même façon que dans le monde occidental. La structure de nos pays et la configuration de nos sociétés faisaient qu’on ne pouvait pas confiner tout le monde à la maison : c’était impossible.
Nos économies étant tellement informelles, il était difficile de fermer les marchés. Ceux-ci sont souvent à ciel ouvert ou dans des hangars et approvisionnés par les villages. On a fait ce qu’ils appelaient le « bouclage des villes » : on ne pouvait pas se déplacer facilement d’une ville à l’autre mais on pouvait le faire à l’intérieur d’une ville.
Au final, il y a eu une certaine flexibilité dans la gestion de la crise, ce qui fait qu’on n’en a pas beaucoup ressenti les effets. Comme il y avait des difficultés économiques dues au ralentissement des activités et des échanges, il y a des gens qui n’arrivaient plus à gagner autant d’argent. Le pouvoir togolais a pris l’initiative de faire des soutiens financiers par transfert monétaire mensuel à des ménages pour l’achat de denrées alimentaires. Beaucoup ont cependant reporté leurs choix sur les produits les moins chers, les produits importés. Concernant notre structure, nous avons pu bénéficier de soutiens dédiés de la part du CFSI.
Le CFSI a lancé un coup de pouce pour soutenir les structures et pallier les effets de la Covid sur la population en général, mais surtout sur la population agricole auprès de laquelle Oadel avait soumissionné. Cela nous a permis de montrer comment une meilleure alimentation peut aider à avoir une meilleure santé, et donc lutter contre la Covid. Lorsque nous avons fait le bilan des ventes de notre boutique, nous avons constaté qu’elle a plus vendu que les autres années pendant cette période. Il y a eu un regain d’intérêt des consommateurs pour les produits locaux. Nous ça nous avait surpris, mais ça veut dire que le message passe et les gens sont conscients que mieux consommer a un impact positif sur la santé.
Propos recueillis par Misa ANDRIAMASINORO et Agnès DUGUE le 2 avril 2024.
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