Nourrir les villes : une nécessité et une opportunité pour les paysans ouest-africains et leurs organisations.
La population ouest-africaine est passée de 70 à 318 millions d’habitants entre 1950 et 2010. Elle devrait être multipliée par deux d’ici à 2050 pour atteindre 650 millions d’habitants. Ces chiffres sont encore plus spectaculaires si l’on s’intéresse aux villes : alors qu’ils n’étaient que 7 millions en 1950, les urbains ouest-africains sont aujourd’hui 140 millions. Et ce chiffre devrait encore tripler d’ici à 2030 (1). Ce taux de croissance, qui ne concerne pas que les grandes villes mais aussi les centres urbains de petite et moyenne taille, est le plus important jamais vu.
Une telle croissance est en train de changer radicalement les rapports villes-campagnes. La population urbaine augmentant au détriment de la population rurale, chaque paysan doit nourrir toujours plus de citadins. La question de la sécurité alimentaire va donc devenir de plus en plus cruciale, d’autant que l’urbanisation se fait essentiellement au détriment de terres agricoles qui sont souvent parmi les plus fertiles. Et la crise alimentaire de 2008, provoquée par la hausse brutale des prix sur les marchés internationaux et aggravée par la spéculation, a mis en évidence les risques d’une trop grande dépendance alimentaire, en particulier dans la sous-région ouest-africaine.
Nourrir les villes est donc, aujourd’hui plus que jamais, un impératif pour les agricultures familiales. Les pays d’Afrique de l’Ouest doivent augmenter leur autonomie alimentaire pour réduire les risques de crise en s’appuyant sur leur paysannerie. Les « émeutes de la faim » du printemps 2008 ont en effet montré que la paix sociale obtenue dans les villes au détriment des paysans était fragile.
Mais les marchés urbains sont aussi une formidable opportunité. Les populations urbaines à faible pouvoir d’achat avaient en effet tendance à consommer des produits importés souvent moins chers que les produits locaux. La flambée des prix a changé la donne. Les produits locaux sont devenus plus compétitifs, et les consommateurs urbains reviennent vers eux. Des enquêtes ménages réalisées auprès des habitants des capitales des pays de l’UEMOA (Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine) indiquent que ces derniers estiment à plus des trois quarts la part de leur alimentation qui provient de la région (2). Ces données sont discutables mais elles donnent une tendance qui semble être confirmée par le fait que les marchés urbains sont désormais un débouché plus important, en valeur, que les marchés à l’exportation pour les produits agricoles.
La demande urbaine peut donc servir de moteur au développement des agricultures familiales, pour peu que celles-ci soient capables d’y répondre, à la fois en quantité et en qualité. Les organisations paysannes ne s’y sont d’ailleurs pas trompées. Dans leur document de plaidoyer « Comment les agricultures familiales peuvent nourrir le Sénégal ? », la Fédération des ONG du Sénégal (FONGS) et le Comité National de Concertation et de Coopération des Ruraux (CNCR) insistent sur la nécessité de ne pas se limiter à un soutien à la production, mais d’intégrer également un travail sur les aspects liés à la consommation.
La question de la production ne doit pas pour autant être laissée de côté. Les difficultés d’accès aux facteurs de production (terres, intrants, crédits, etc.) restent l’un des problèmes majeurs auquel sont confrontés les paysans de la sous-région. Or, ils sont une condition indispensable à la mise en œuvre de systèmes de production qui répondent à la double exigence d’augmenter les volumes produits, tout en préservant les ressources naturelles.
Nourrir les villes est donc à la fois une nécessité et une opportunité pour les paysans ouest-africains et leurs organisations, qui doivent pour cela relever un triple défi : répondre à la demande urbaine ; créer des emplois ruraux et assurer des revenus dignes aux paysans ; et répondre aux exigences de gestion durable des ressources naturelles.
Pour les appuyer, la Fondation de France et le Comité Français pour la Solidarité Internationale (CFSI) portent un programme dont l’enjeu principal est de permettre aux paysans ouest-africains de (re)conquérir les marchés urbains. Depuis 2009, près d’une centaine de projets ont ainsi été soutenus.
Contribution de Jean-Baptiste Cavalier, responsable Agriculture et Alimentation du CFSI, au Baromètre de la faim 2012.
En savoir plus sur les actions du programme Agriculture et Alimentation du CFSI
(1) Perspectives ouest-africaines, Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest (CSAO), OCDE : http://www.oecd.org/fr/csao/perspectivesouest-africaines/#peuplement
(2) Les cultures vivrières pluviales en Afrique de l’Ouest et du Centre, AFD-CIRAD-FIDA, mai 2011.